« Le bénéfice du doute » du collectif_fact

collectif_fact

Le collectif_fact conçoit des vidéos qui s’inspirent des codes et du langage cinématographique, à partir d’images qu’ils filment le plus souvent dans des lieux publics. Par un sens aigu du montage et de la juxtaposition entre les images et la bande son, ils créent des fictions surprenantes à partir de situations apparemment banales.

« Ils s’intéressent particulièrement aux répétitions du quotidien, aux stéréotypes et aux clichés qui imprègnent notre culture populaire et travaillent principalement sur les aspects du (anti)spectacle, des simulacres et de l’appropriation. Ils encouragent le spectateur à une réflexion critique sur les habitudes qui conditionnent nos perceptions de la réalité. »

Au Centre culturel suisse à Paris, le duo présente deux vidéos Hitchcock presents (2010) et The Fixer (2013), qui mettent en jeu les architectures marquantes des lieux de tournage, respectivement la Maison Blanche de Le Corbusier à La Chaux-de-Fonds et le Barbican de Chamberlin, Powell & Bon à Londres.

Hitchcock presents, 2010, vidéo HD, 6’26’’ :

En 1960, Alfred Hitchcock réalisa, pour la sortie de Psychose, une bande-annonce tournée dans les décors de son film où il présentait lui-même l’intrigue. Réutilisant ce son originel, la vidéo Hitchcock presents propose une visite de la Maison blanche de Le Corbusier par le maître du suspense. En s’appropriant l’ambiance de la maison de la mère de Norman Bates pour l’affecter à la Maison blanche, le collectif_fact plonge celle-ci dans l’univers fictionnel des thrillers. Ainsi, grâce à cette visite guidée par Alfred Hitchcock, la Maison blanche tient ici le premier rôle empreint d’intrigues et de suspense, et devient le décor d’un scénario à sensation.

The Fixer, 2013, vidéo HD, 8’24’’ :

La vidéo intitulée The Fixer montre un script doctor, personne à qui l’on fait appel pour améliorer un scénario en supprimant parfois des personnages ou des scènes, qui parle de son travail comme s’il s’agissait de celui d’un tueur à gages. A cette voix sont ajoutées des photographies de personnes qui fréquentent régulièrement le Barbican, centre d’art pluridisciplinaire à Londres. Ces visiteurs deviennent tantôt des acteurs de scènes effacées, tantôt les victimes du tueur.

Entrée libre jusqu’au 14 octobre 2014 : Centre Culturel Suisse de Paris.

Diaporama de l’exposition.

Hinterland (2009), documentaire de Marie Voignier.

Découvert à l’occasion des 18èmes Rencontres du cinéma documentaire 2013, par un froid après-midi de dimanche, « période et température idéales pour le voir » selon la réalisatrice voici quelques notes sur le film Hinterland.

Aéroport de Brand-Briesen, Allemagne.

 

« À soixante-dix kilomètres au sud de Berlin, installé dans une ancienne base militaire, un immense dôme métallique aux allures de vaisseau spatial abrite désormais un parc tropical saisissant. À travers la découverte de Tropical Islands et des multiples sédiments historiques sur lesquels il est implanté, le film propose une singulière mise en perspective d’un lieu avec son histoire, une archéologie poétique de notre rapport au temps, à l’espace et à l’illusion. »

Dans « The Truman Show » Truman Burbank veut s’en échapper. Ici on paye pour y rentrer.

Ayant l’idée du film suite à la lecture d’un article de Libération, Marie Voignier, réalisatrice « spécialiste » des sujets mêlants réel & fiction, tourna Hinterland en 2009.

Le décor est gigantesque et fascinant : imaginez 66.000 m2 de fausse mer à 30° (équivalent de quatre piscines olympiques) en face d’un ciel peint, un jardin tropical, des attractions, spas, restaurants, et tipis dans un énorme ancien garage à dirigeables; le tout au milieu d’une ancienne base militaire de l’empire soviétique de l’ex-RDA.

« Le paysage de Tropical Islands a été fait par les architectes qui ont dessinés Copacabana » dit fièrement le directeur marketing, tout comme l’attaché de presse excité par son nouveau poste dans l’entreprise de loisir qui vante l’authenticité de morceaux de décor construits par des ouvriers venants de Bali.

Dans sa note d’intention la réalisatrice précise : « C’est un produit de loisir d’aujourd’hui où, derrière le décor, se cache un travail énorme pour élaborer cette impression de voyage et de liberté. Mais l’exotisme scénarisé de Tropical Islands est une accumulation de pastiches, de simulacres au sens platonicien : la copie à l’identique d’un original qui n’a jamais existé. »

Nous voyageons de manière fluide dans l’espace et le temps : les ruines des logements de l’armée russe (qui doivent beaucoup plaire aux explorateurs urbains), une vidéo de la construction du Dôme qui n’a en fait jamais servi de hangar, la société de portage aérien ayant fait faillite…

On a du mal à imaginer le fort trafic aérien militaire tant le silence règne sur la base de loisirs. Chose assez étonnante pour un espace clos où les visiteurs doivent s’amuser, rire, s’éclabousser. Mais le public du parc n’aura pas la parole, ses réactions n’est pas ce qui intéresse la réalisatrice.

Le film de Marie Voignier évoque « le rapport à l’autre, complexe dans cette région connue pour sa xénophobie« , dont l’explication tient peut-être à la présence de l’armée russe non acceptée par les locaux. Plus qu’un « Center parc » c’est « une idéologie très forte, qui veut réécrire l’Histoire« .
Le directeur marketing explique ainsi que « Tropical Islands sert à la lutte contre la xénophobie, construit sur un ancien aéroport, symbole de la grande entente mondiale« .
La réalisatrice confirme : « Il écrit sa propre mythologie, il se coupe lui-même la parole mais c’est trop tard : il s’est dévoilé« .

Walden; or, Life in the Fake ?

Krausnick, la ville à côté du Dôme, est dénommé Tropical Islands et inversement, ce sont deux anciennes du village qui le disent. L’Hinterland (littéralement l’arrière-pays) qui attire travailleurs comme touristes polonais est passé « d’une conception du monde à une autre ».

En 10 jours de repérage et deux semaines de tournage, Marie Voignier, rend compte d’une réalité d’un défi économique et touristique risqué fondé sur les cendres chaudes des aléas de l’Histoire de l’Allemagne de l’après-guerre.

L’Ange de l’Histoire de Paul Klee décrit par son propriétaire le philosophe Walter Benjamin comme « ayant le visage tourné vers le passé » est bien la figure que nous voyons sur un ballon à l’intérieur du Dôme. Symbole résumant bien l’intention de réalisation : regarder le passé authentique d’une région pour mieux comprendre l’hyper-réalité d’un faux jardin d’Eden tropical.

« …und du fühlst dich gut » (et vous vous sentez bien) est le slogan de Tropical Islands, qui résume bien notre état suite au visionnement des films étonnants et fins de Marie Voignier.

Vous pouvez voir le film en VOD à partir de 1€ sur Doc Alliance :
http://dafilms.com/film/8024-hinterland/

Le site de Tropical Islands (avec carte interactive et nombreuses vidéos) :
http://www.tropical-islands.de/en/attractions/